Coup d'œil dans le rétro - suite !

Par GIOM

Il y a quelques semaines, je vous proposais un retour sur mon parcours de formation : aujourd'hui, je vous propose de pénétrer dans l'intimité de mon arrivée à Motoco !

Motoco en ligne de mire…

Au printemps 2018, alors que j’étais en formation au sein de l’école Créamik en Bretagne, je réfléchissais à l’installation de mon atelier. En répondant à un appel à candidatures émanant de Motoco, je posais mon projet sur dossier.

Car comme je le racontais dans un précédent article de blog que vous pourrez retrouver ici, mon parcours de formation à la céramique a été un heureux enchaînement de rencontres avec des professionnels passionnés et généreux… et de chance d’être au bon endroit au bon moment. Mais je n’avais pas encore réfléchi mon installation… et c’est un appel à candidature émanant de Motoco qui m’a incité à poser mon projet sur papier…

Mais je n’avais alors aucune expérience artistique, aucune exposition individuelle ou collective à présenter, aucun book de mes créations mis à part quelques photos de tests réalisés au cours de ma formation mais qui ne présentaient en rien l’univers que je souhaitais explorer… j’ai fait le pari audacieux de tout miser sur la lettre de motivation.

La voici reproduite intégralement ci-dessous : c‘est un peu long mais si le cœur vous en dit, la parcourir vous donnera quelques clefs sur mon travail et mon approche. En la parcourant à nouveau, j’y retrouve le concentré de tout ce qui m’animait alors. Je ne renie rien de ces écrits et je vous le livre avec plaisir !

 

Déclaration d’amour à MOTOCO

Il est des moments où la Vie se charge de prendre la main.
A moins qu’il s’agisse de l’Univers.
Ou des Energies.
Ou des Forces.
Ou des Planètes.
Ou de Dieu. Des Dieux.
Ou de moi tout simplement.
Voire de tout à la fois.

Dans ces moments, on sent, on savoure, on sème, on sacralise, on saisit, on scintille, on secoue, on scrute, on songe, on solutionne et on sait. Je sais.
Que tout ce qui a été jusqu’à ce jour a construit les fondations d’un maintenant.
Que c’est en moi qu’il faut puiser pour l’écrire.
Que le fantasme de la matière doit s’expérimenter.
Que la frustration de ne vibrer, certes avec brio, que dans le vent de l’abstraction conceptuelle du développement touristique, est devenu le moteur d’un aujourd’hui à vivre.
Que le chemin est encore long pour connaitre mon why, mais que la carte au trésor de Simon Sinek devient enfin compréhensible pour rendre ma quête plus concrète.

Alors mes envies de création qui sommeillaient commencent à poindre. Ou alors elles demeurent simplement aussi vivantes qu’avant, mais deviennent visibles par l’œil et l’esprit jusqu’alors concentrés sur d’autres priorités.

Alors l’émulation artistique, culturelle et créative qui m’entourait se révèle être la recette toute entière, bien au-delà du rôle essentiel de levain que je lui attribuais jusqu’à présent pour faire monter la pâte.

Alors les « quand je serai grand, je serai décorateur d’intérieur », les « tu devrais vraiment faire quelque chose d’artistique », les « un jour, je prendrai le temps d’explorer ça », les projets construits avec des artistes là où une voie plus simple se présentait, les « toi, t’es vraiment totalement barré » m’apparaissent comme des petits cailloux blancs semés tout au long de mon parcours pour me permettre de faire demi-tour, non pas pour revenir en arrière, mais pour avoir la possibilité de découvrir à nouveau la forêt traversée avec un œil autrement attentif.

Alors quelques idées griffonnées sur un coin de table il y a plus de 10 ans, puis aussitôt oubliées, remontent à la surface. Quelques chiffres alignés dans une maison de bord de Loire pour estimer la faisabilité de l’idée, puis aussitôt gommés, viennent frapper à la porte de ma mémoire et surgissent, tels des diablotins trop longtemps compressés dans leur boite tantôt protectrice, tantôt oppressante.

Tournage de céramique sur un tour de potier

J’ai rencontré la terre et nous avons échangé. Des mots. Des silences. Des promesses. Des envies. Des peurs. Des doutes. Des convictions et bien d’autres choses encore…

J’ai compris qu’il serait impossible de monter la terre si je n’étais pas centré. Car c’est en étant centré, stable et campé sur ses fondations qu’on peut espérer rassurer la terre, prise dans son tourbillon infernal, et qui, seule, continuerait de tourner sans cesse dans un immuable mouvement perpétuel. Quand une main – puis les deux – la rencontre, la caresse, la rassure, la guide, lui montre le chemin, elle se calme, se pose, s’aligne pour se centrer avec douceur. Elle comme moi, c’est en nous confrontant à un repère fixe et stable, bien campé face à nous et qui accepte qu’on vienne se cogner avec frénésie contre lui lors des moments où nous tournons irrationnellement sur nous-même que nous parvenons à nous centrer et nous apaiser. Pour moi, ces repères fixes ont été mes amours – passé et actuel – toujours, mes amis et mes proches souvent, mes collaborateurs parfois. Pour la terre, ce sera moi.

Imperceptiblement, ma main accompagne ce mouvement.
Inlassablement, mon corps écrit le mouvement.
Indéfiniment, mon esprit se pose. #OKLM

Centrés – elle et moi –, il nous faut encore cheminer. Il ne s’agirait pas d’aller trop vite en besogne et de négliger un nécessaire alignement intérieur. J’ai appris pendant des années à afficher une assurance souvent convaincue, parfois feinte, pour mener des projets à leur terme. Rarement consciemment. Mais toujours pour emmener avec moi des collaboratrices, des partenaires, des financeurs, des médias, des amis, des humains. Car la terre et moi sommes comparables : même posés et lisses en surface, nous demeurons infiniment confus et emmêlés à l’intérieur. Enchevêtrement inextricable de molécules complexes, nous devons prendre le temps de nous aligner pour avancer en cohérence et conserver cette congruence qui m’est chère et qui lui est vitale. Ensemble, quelques chandelles montées sur la girelle nous y aideront. C’est seulement après avoir pris ce temps que nous pourrons construire quelque chose et tenter de porter un propos.

Débute alors le patient travail de fabrication, celui qui fascine et intrigue ceux qui voient le potier penché sur son tour. Ce qui est considéré, à tort, comme le cœur du métier, négligeant en cela tout le processus créatif en amont – celui qui permet aux mains de savoir comment agir pour fabriquer la pièce qu’on a vue en songe – et en aval. Car c’est ensuite un long processus qui mettra ma patience à l’épreuve, juste suffisamment pour se souvenir que le moment présent est précieux, autosuffisant et porteur de nombreux messages bienfaisants si on prend le temps de le considérer. Séchage, tournassage, re-séchage. Puis la première cuisson intervient, pour porter les pièces à 950°C en une dizaine d’heures, et ainsi en chasser toute l’eau et transformer les grès en dégourdis ou les porcelaines en biscuits. Les pièces sorties du four sont prêtes à être parées de leurs plus beaux atours, avant la seconde cuisson entre 1250 et 1300°C qui grèsera la terre et donnera son aspect définitif à la pièce.

En pleine préparation pour apparaitre au grand-jour, c’est le moment de tous les dangers pour la terre. Car jusqu’ici rien n’est gagné. Et la plus élégante des créations deviendra la plus fade des pièces si l’émail est mal choisi, mal posé ou mal cuit. Tout comme une pièce banale aura une seconde chance de devenir la star du défournement si l’émail lui est adapté et la met à son avantage. Pour la énième fois dans ce processus de création, cette étape remue des valeurs profondément ancrées en moi, et c’est alors avec l’émail que je communie. Il s’agit de valoriser sans trahir, de mettre en avant sans se mettre en avant, de savoir rester suffisamment confiant pour rassurer sans pour autant apparaitre comme prétentieux, mais également être confiant et volontariste, sans donner le sentiment d’être orgueilleux… Autant de préceptes que je m’acharne à appliquer quotidiennement, avec plus ou moins de succès et/ou de laisser-aller comme une religion dont on connait les règles sans jamais vraiment les avoir apprises. On m’a souvent flatté d’être inspirant. C’est à cela que je reconnais maintenant un bel émail : qu’il m’inspire et le tour est joué… Enfin presque, car rien n’est joué justement !

Car les assemblages mi-chimiques mi-magiques d’oxydes, de minéraux, de cendres ou d’os constituent des recettes mi-secrètes mi-abstraites qui se partagent de générations de potier céramistes en générations de potiers céramistes, comme des secrets de corporation bien gardés. Et le respect de la recette n’est jamais la garantie d’un rendu réussi : les variables sont nombreuses, qui compliquent la tâche des curieux observateurs convaincus que cet art est accessible. Application au pinceau, en trempage, à la louche ou au pistolet ; densité de l’émail lors de l’application ; épaisseur de la couche d’émail appliquée ; superposition des émaux dans un ordre précis ; forme de la pièce ; couleur, grain et texture de terre utilisée ; température de cuisson ; cuisson en four à gaz, en four électrique, en four à bois ; cuisson en réduction ou en oxydation… sont quelques-unes des variables qui se jouent des émaux comme les graines se jouent des plantes ou les gamètes se jouent des humains. Car c’est bien une naissance qui se prépare. Avec ses mystères et ses secrets, avec son intensité et ses aléas, avec ses certitudes et ses inquiétudes, avec sa poésie et sa force.

C’est maintenant à ces mystères et ces secrets, cette intensité et ces aléas, ces certitudes et ces inquiétudes, cette poésie et cette force que je souhaite me soumettre et me donner. Je suis entré en création. Comme on entre en religion. Ou en scène. Ou en guerre. Ou en transe. Et sans savoir où me mènera ce chemin, je sais que j’ai envie de le suivre, à tâtons, la main sur l’épaule d’un collectif que j’ai côtoyé par intermittence, découvert avec passion et encouragé avec abnégation. Car la route m’apparaît encore trop chaotique pour que je souhaite m’y engager seul. Car je suis stérile en étant isolé. Car je crois profondément en la force d’un ensemble. Car je veux créer à quatre, six, huit ou vingt mains. Car je souhaite élargir et élargir encore ma capacité de création, non pas pour tout apprendre et tout maitriser, mais pour répondre à ma boulimie d’apprentissage et de découverte, celle-là même que j’ai portée depuis 15 ans en œuvrant avec passion pour le tourisme et la culture sous des formes variées, mais que j’ai muselée lorsqu’il s’agissait de créer de mes mains. C’est à cette condition que mon équilibre sera : accepter de ne plus me restreindre et ne plus choisir par autocensure. Réussir à envoyer balader les réflexes sociaux ancrés en moi et qui me conditionnent chaque jour à une activité professionnelle valorisante, rémunératrice et socialement nommable. Arriver à me départir de cet acquis, sans le nier, mais en en prenant pleinement conscience pour l’exercer avec lucidité et clairvoyance. Demain, je ne veux pas choisir. Créer, imaginer, développer, guider, générer, vibrer, bonifier… que ce soit par la production de poteries céramiques ou par l’accompagnement d’acteurs touristiques et culturels. Ainsi sera mon engagement.

Nous voilà au terme de ce récit désorganisé, vitrine narcissique d’une évolution en cours, témoignage désordonné d’aspirations profondément ancrées, tentative de partage d’une intimité bouleversée. Une chose manque encore.

Il est des moments où la Vie se charge de prendre la main.
A moins qu’il s’agisse de l’Univers.
Ou des Energies.
Ou des Forces.
Ou des Planètes.
Ou de Dieu. Des Dieux.
Ou de moi tout simplement.
Voire de tout à la fois.

Cette fois, la Vie m’aura soufflé qu’après des années d’errance,
incapable de répondre à la question « Et sinon, tu viens d’où ? »,
j’ai su ces derniers mois comme une intime évidence
comme si Prévert m’avait soufflé à l’oreille ses mots doux
qui reconnaissent le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va
qu’après ces quarante-deux mois d’une si longue absence
mon chez-moi était bien ici, au cœur de Milhusa
là où j’ai rencontré tant d’énergies, de joie et d’effervescence
et où, aujourd’hui, je sais que sera le lieu de ma renaissance.

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