Des créations testées en laboratoire !
par Giom
Saviez-vous que pour mettre une nouvelle collection sur le marché, les potiers sont dans l'obligation de tester la conformité de leurs créations avec un usage alimentaire ? C'est une étape réalisée en laboratoire dont je vous propose la découverte aujourd'hui.
Une législation européenne pour protéger le consommateur.
La loi est claire : ” Le règlement (CE) n°1935/2004 (ou « règlement cadre ») du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 définit les exigences générales qui s’appliquent aux matériaux et objets destinés à entrer en contact directement ou indirectement avec les denrées, produits et boissons alimentaires mis sur le marché communautaire afin d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur.”
C’est donc clair et écrit noir sur blanc, et en plus la règle est la même pour tout le monde : fabricant industriel, potier artisanal, artisan d’art ou créateur occasionnel. A partir du moment où vous commercialisez vos créations destinées à un usage alimentaire, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) veille au grain, et même si c’est bien contraignant pour nous, petits artisans, c’est quand même une bonne chose pour vous, histoire d’éviter de vous empoisonner !
Sur le site de la DDGCRF, on retrouve différentes informations pour préciser cette obligation légale :
Mais au fait, pourquoi y aurait-il un risque alimentaire particuliers pour les céramiques artisanales ?
Rappelez-vous, les créations que je réalise sont en grès émaillé cuit à haute température. Mais connaissez-vous la composition chimique de tout ceci ?
Et oui ! Selon la terre utilisée, l’émail fabriqué, le type de cuisson et la technique de fabrication, les réactions chimiques qui permettent la transformation de la matière crue en céramique ne sont pas forcément les mêmes, et n’agissent pas sur les mêmes composants.
En clair et pour faire simple, la terre est composée de minéraux et d’oxydes de métaux, en proportions variées selon l’endroit où elle a été extraite, les éventuels ajouts qui ont été réalisés au moment de son traitement, et la manière dont elle a été constituée à l’origine (n’oublions pas que cette terre provient du sous-sol et donc des décompositions successives d’éléments organiques et minéraux… depuis des centaines de milliers d’années !). Du côté de l’émail, c’est un peu la même chose : en fabriquant un type bien particulier de verre qu’on va appliquer sur la terre pour lui donner une couleur et des textures bien particulières, on met également au point des recettes à base d’eau, de minéraux et d’oxydes de métaux dans des proportions variables. Au final, tous ces composants sont naturels, puisqu’ils sont extraits du sol de notre belle planète bleue, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas dangereux pour autant : certains sont toxiques, d’autres peuvent empoisonner l’humain s’ils sont consommés en trop grande quantité, d’autres encore sont absolument inoffensifs !
Quand je parle de composants chimiques, je parle de matières premières que vous connaissez forcément de nom, qui sont souvent partout dans notre vie quotidienne : le cuivre, le fer, le zinc, le nickel, le talc, la chaux, les cendres d’os ou de bois, le magnésium, le verre… mais également de composants moins connus ou plus exotiques comme le baryum, le kaolin, le lithium, le zirconium, l’antimoine ou encore le feldspath.
Mais pourtant, tout ceci est cuit à plus de 1250°C, ça devrait régler tous les problèmes, non ?
Lorsqu’on cuit cette terre à haute température, on agit sur sa structure chimique de manière à ce qu’elle évolue pour donner un grès solide, un peu comme si on reconstituait une roche. Même si la cuisson à haute température “emprisonne” une bonne partie des composants chimiques dans la “roche” qu’elle fabrique en cuisant, on n’est donc pas à l’abri d’une fuite d’un composant chimique, dans des proportions infimes certes, mais dont certains peuvent être dangereux pour la santé.
C’est justement ça qu’on cherche à analyser pour s’assurer que selon la terre et l’émail utilisés, la céramique ne libérera aucun élément toxique après la cuisson et pendant l’usage.
Pour que ce soit plus clair, je pourrais vous parler de l’exemple du plomb, qui est maintenant interdit dans la composition de l’émail.
Il y a quelques années encore, avant qu’on ait validé toutes les recherches sur la toxicité du plomb, on trouvait ce composant dans de nombreux usages de la vie quotidienne (tuyauteries, peintures mais également dans l’émail de certaines céramiques). Avec le temps, on a compris que le saturnisme était une maladie gravissime provoquée par l’ingestion de plomb, et on a donc interdit son utilisation. Le principe de précaution prévaut : même si une bonne partie du plomb est fixée dans la céramique une fois qu’elle est cuite, son utilisation reste interdite. C’est ainsi que des centaines d’artisans et d’industries ont du faire évoluer leurs processus de fabrication, pour trouver un remplaçant au plomb.
Que teste-t-on et comment ça marche ?
Les tests obligatoires concernent plusieurs composants chimiques : le Plomb, le Cadmium, l’Aluminium, le Cobalt et l’Arsenic.
Ces tests sont réalisés dans un laboratoire spécialisé. En ce qui me concerne, je travaille avec la Société française de Céramique, basée en région parisienne, et qui dispose d’un centre technique industriel de la céramique avec un laboratoire et une équipe dédiés.
Pour chaque nouvelle collection que je mets au point, je leur fais parvenir un échantillon d’une pièce qu’ils vont analyser. L’échantillon doit être identique à la collection : même terre, même émail, même cuisson. Par exemple, si je souhaite utiliser l’émail de la Collection Bronze sur la terre de la Collection Port-Anna, alors je dois envoyer également un échantillon pour qu’ils puissent en tester la conformité. C’est ce que j’ai fait pour mes collections habituelles, mais également pour les projets sur-mesure qui utilisaient des émaux que je n’utilisais pas dans mes collections, comme lors de la création sur mesure pour le restaurant Un Petit Truc en Plus.
Au bout de quelques jours, je reçois un rapport indiquant les conclusions de conformité ou non, avec les taux qui ont été relevés lors des différents tests.
Chaque échantillon envoyé donne lieu à un rapport de plusieurs pages. On y retrouve la photo de l’échantillon envoyé et sa description, la date des tests et un numéro unique de rapport d’essai.
Ensuite, un résumé indique si l’échantillon est conforme aux normes européennes ou non.
Enfin, on trouve dans les pages suivantes le détail des tests réalisés, avec le seuil relevé pour chaque composant. Je sais par exemple que la concentration en plomb relevée pour ma Collection Bronze est inférieure à 0,06 mg/l quand le seuil maximal se situe à 1,5 mg/l. Pour le Cadmium par exemple, la concentration est inférieure à 0,01 mg/l quand le seuil maximal est à 0,1 mg/l. Je vais vous épargner le détail de toutes les mesures car c’est assez fastidieux mais n’hésitez pas à me contacter si vous souhaitez que je vous les communique.
Mais c’est une simple formalité, non ?
Il faut savoir que les tests ne sont pas toujours concluants, et dans ce cas, c’est vraiment tout sauf une bonne nouvelle ! Car dans ce cas, il faut recommencer les recherches et le développement pour aboutir à une collection qui soit conforme et qui puisse être utilisée pour un usage alimentaire.
Lorsque j’ai développé la Collection Port-Anna, j’avais fait des recherches avec un émail pour qu’il soit mat, et de cette couleur indéterminée entre le bleu et le vert. Lorsque j’ai terminé la mise au point de mon émail, j’ai fait des tests et j’ai envoyé un échantillon au laboratoire. Manque de chance, le résultat est revenu négatif : l’échantillon n’était pas conforme car la concentration en Arsenic était de 0,026mg/kg de denrée alimentaire alors que ça devait être normalement indétectable (pour information, la limite de détection de référence est de 0,002mg/kg donc là… on en était carrément loin !).
Bref, joie et bonheur, j’ai repris mes recherches avec une contrainte supplémentaire : que le nouvel émail que j’allais mettre au point soit très ressemblant de celui que j’avais trouvé et qui n’était pas conforme. Mais en reprenant mes recherches et en formulant des hypothèses scientifiques, j’ai pu mettre au point ce nouvel émail qui est celui de la Collection Port-Anna. Le premier émail était plus pauvre en silice, donc assez “tendre”, et je me disais qu’en augmentant la proportion de silice, ça devait donner un émail plus dur qui emprisonnerait plus fortement l’Arsenic présent naturellement dans les différents composants. Mais en augmentant la proportion de silice, on modifie totalement l’aspect de l’émail et je voulais conserver un émail plutôt mat : le nouvel émail n’est pas totalement mat, il est dit beurré.
Cette fois, c’était la bonne : il a été testé en parfaite conformité alimentaire, avec une concentration d’Arsenic relevée inférieure à 0,001 mg/kg de denrée alimentaire. Ouf : la Collection Port-Anna a pu exister !
Alors, c’est plus clair ?
J’espère que cet article n’était pas trop technique et que je ne vous ai pas perdu en route… je trouvais intéressant de vous faire découvrir l’envers du décor. Car au-delà de l’image très bucolique du métier artisanal de potier céramiste, on ne parle quasiment jamais de l’impact de ces réglementations.
Et que vous soyez une industrie multinationale qui produit de la céramique avec des centaines de salariés et un service de recherche et développement… ou un petit artisan qui travaille seul, la législation est la même pour tous. Sauf que prendre en compte les coûts de ces tests à chaque nouveau projet (environ 200€ par test… qu’il soit conforme ou non !) n’est pas forcément facile dans le cadre d’une petite activité artisanale avec des marges réduites.
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout, n’hésitez pas à le partager… et je reste évidemment à votre disposition par courriel ou sur les réseaux sociaux si vous avez des questions au sujet de ces tests de conformité !